Histoire de la
musique klezmer
Journée spéciale sur
France Musique
Mercredi 18 février
Moyen-âge
Dès le XIIIème siècle, des ensembles itinérants de musique klezmer se constituent pour jouer aussi bien dans les cours des califes que dans les cours des rois chrétiens, auprès des troubadours, trouvères et ménestrels. Au même titre que ces derniers, les klezmers sont considérés comme des saltimbanques et des "amuseurs".
Ces musiciens, qu'ils soient professionnels ou non, parcouraient ainsi toute l'Europe centrale afin d'animer les fêtes, surtout les mariages.
(source image : Trobadours. German anonymous, s. XIV. Archiv für Kunst und Geschichte. Berlin © - 2012 / German anonymous )
Premiers échanges
C’est au XVIème siècle que les paroles viennent s’ajouter à un répertoire juif jusqu’ici exclusivement instrumental. C’est aussi à cette l’époque que la pratique de la musique klezmer sera considérablement restreinte par les institutions religieuses et civiles. Pour survivre et continuer d’exercer leur art, les musiciens professionnels juifs multiplient les collaborations : avec des musiciens non-juifs au sein de divers orchestres ou encore devant un public chrétien. Ce brassage des cultures permettra notamment les premiers échanges musicaux entre juifs et tsiganes.
La mappemonde de Frederik de Wit (1662)
(source image : wikipedia)
Joseph Gusikov
Au début du XIXème siècle, un klezmer plus moderne s’élabore et notamment grâce au musicien Joseph Gusikov (1806- 1837) qui fut le premier à entreprendre une grande tournée de concerts en Europe Occidentale à partir de 1835.
Admiré de ses contemporains, il triomphe à Paris, Vienne et Leipzig. Le grand Felix Mendelssohn évoquera d’ailleurs le musicien dans un courrier adressé à sa famille en 1836
«C'est tout à fait un phénomène ; un fameux type, inférieur à aucun virtuose du monde, aussi bien en exécution qu'en sensibilité; il m'a ainsi plus enchanté avec son instrument en bois et en paille que beaucoup d'autres avec leur piano-forte. »
Dans cette lettre, Mendelssohn fait référence au Shtroyfidl, un instrument en bois et en paille inventé par Joseph Gusikov en 1831. Ce xylophone - conçu comme un cymbalum et dont la table d'harmonie est faite de rouleaux de paille - permet une forte résonance.
Joseph Gusikov (1836). Gravure de Josef Kriehuber.
(source image : wikipedia)
La clarinette
Aujourd’hui considérée comme l’instrument-roi de la musique klezmer, c’est précisément en 1881 que la clarinette s’impose comme l’instrument soliste par excellence. Elle remplacera ainsi peu à peu le violon, relégué lui au second plan au profit des instruments à vent.
Si les premiers enregistrements connus de musique klezmer présentent des ensembles constitués essentiellement de cordes (violons, cymbalum), les maisons de disques favorisent rapidement les cuivres et les vents, dont le son puissant est plus facile à enregistrer.
Musiciens klezmer (1925). Photographie de Menakhem Kipnis
(source image : Forward Association/YIVO)
Le nouveau monde
Au tournant du XXème siècle, les pogroms et la montée du fascisme hitlérien obligent des centaines de milliers de juifs à fuir. Ainsi, entre 1880 et 1924, pas moins d’un tiers de la population juive d’Europe Orientale traverse l’Atlantique et émigre aux Etats-Unis. Les musiciens trouvent d’abord du travail dans les théâtres, cafés et cabarets avant d’investir et de créer des lieux entièrement dédiés à la communauté yiddish et à la musique klezmer. En 1924, New-York devient la première ville juive du monde avec 1.700.000 migrants juifs.
Entête d'un article du Times de 1903 sur les pogroms de Kichinev.
(source image : wikipedia)
Dave Tarras
Arrivé à New-York en 1921, le clarinettiste Dave Tarras (1897-1989) est le principal acteur de la renaissance qu’a connue la musique klezmer en Amérique. Né en Ukraine, il grandit au sein d’une famille de musiciens : son père est un tromboniste klezmer. Après son émigration à New York, Dave Tarras travaille comme clarinettiste dans de nombreux ensembles klezmer de la ville. Il enregistre rapidement pour le label Columbia Records, non seulement de la musique juive, mais aussi des airs traditionnels grecs, polonais ou russes.
Le clarinettiste Dave Tarras
(source image : Center for Traditional Music and Dance)
Entre deux guerres
Avant 1942, plus de 700 disques klezmer sont enregistrés aux Etats-Unis. Les pionniers sont notamment le clarinettiste Harry Kandel (1885-1943), premier à graver avec son « band » de la musique klezmer, ou encore le violoniste Abe Schwartz (1881-1963) qui fut l’un des chefs les plus réputés et les plus enregistrés de son époque.
En 1936, le poète Itzik Manger compose Yidl Mitn Fidl, chanson-titre du film yiddish du même nom. Produit par Green Films à Varsovie, le film met en scène les acteurs Molly Picon, Leon Liebgold, et Max Bozyk, dans un shtetl (village juif d’Europe) offrant ainsi un aperçu de la vie juive en Pologne avant la guerre.
Lorsqu’éclate la Seconde Guerre Mondiale, seule une infime partie des juifs restés en Europe centrale survit à la barbarie nazie. La musique klezmer prospère un temps aux Etats-Unis puis se fait de plus en plus rare… jusqu’à tomber dans l’oubli.
Sylvia Schwartz et son père Abe, au violon
(source image : catalogue du label Victor, 1920, New-York)
Le revival du klezmer
Il faudra attendre les années 1970 pour que renaisse un intérêt pour la culture yiddish. Au delà des frontières de l’Amérique du Nord, plusieurs musiciens sont soucieux de renouer avec leurs origines. Les vieux 78 tours sont réédités et les concerts se multiplient. La création de comédies musicales yiddish, comme Fiddler on the roof (1970) de Joseph Stein, basée sur l’œuvre de Cholem Aleichem, prouve qu’un renouveau profond de cette culture est entrain de s’opérer.
Peu à peu, l’Europe se met au diapason et voit se profiler une résurgence de groupes klezmer, notamment en Allemagne, Hollande, Suisse, Autriche et en France.
Affiche du film, adapté de la comédie musicale (1971)
Giora Feideman
Parmi les personnalités impliquées dans le renouveau du klezmer, on trouve le clarinettiste argentin Giora Feideman, né en 1936 dans une famille d’immigrés de Bessarabie. Il est bercé par cette musique depuis plusieurs générations : dans sa famille, les hommes animent les mariages et bar-mitsvahs. Giora fait ses débuts dans l’Orchestre Philharmonique d’Israël avant de préférer une carrière soliste toute dédiée à la musique klezmer. Il est aujourd’hui particulièrement connu pour avoir composé la musique du film La liste de Schindler de Steven Spielberg.
Giora Feidman (Photographie : Felix Bröde)
David Krakauer
Ancien membre des Klezmatics, groupe phare du revival klezmer fondé par le chanteur et accordéoniste Lorin Sklamberg, le clarinettiste David Krakauer anime dès le début des années 1990 un brunch klezmer à Manhattan. Né à New-York en 1956, il est aujourd’hui l’un des acteurs principaux du genre. Musicien de formation classique, il a notamment œuvré pour le répertoire contemporain et plus particulièrement pour l’œuvre du compositeur Luciano Berio. Fondateur du Klezmer Madness en 1995, il multiplie les collaborations en tous genres ; avec le Kronos Quartet, le pianiste Uri Caine ou encore le DJ Socalled.
David Krakauer © Radio France
John Zorn
Acteur phare de la scène musicale new-yorkaise, le saxophoniste John Zorn se lance en 1992 dans un travail de redécouverte de la musique juive. Artiste issu du mouvement punk et jazz expérimental, il fonde en 1993 le quartet Masada aux côtés de Joey Baron, Greg Cohen et Dave Douglas. En l’espace d’une année, John Zorn compose pour cette formation plus d’une centaine de pièces. Le groupe Masada tire son nom d’un site antique situé en Israël.
John Zorn est également à l’origine du label indépendant Tzadik ayant fait paraître, depuis sa création, plus de 400 albums, tous genres confondus : jazz, musique bruitiste, klezmer, ou encore rock expérimental.
Le musician John Zorn à Central Park
(crédit photo : Chad Batka for The New York Times)
Et dans la musique classique ?
Enfin, au gré des nombreux cheminements qu’elle a connu, la musique klezmer n’a manqué d’influencer les compositeurs « classiques », devenant une véritable source d’inspiration pour certains d’entre eux. Citons Gustav Mahler et le troisième mouvement de sa Première Symphonie, Serge Prokofiev et son Ouverture sur des thèmes juifs ou encore George Gershwin et les premières mesures qu’entonne la clarinette dans Rhapsodie in Blue.
Mais plus que tout autre, Dimitri Chostakovitch fera écho à la musique juive dans ses propres compositions : dans le final du Deuxième trio (le pendant du second mouvement de son 8ème quatuor à cordes), dans le 1er Concerto pour violon, le final du 4ème Quatuor à cordes et surtout dans les mélodies De la poésie populaire juive opus 79, qu'il gardera cachées jusqu'à la mort de Staline.
Il orchestrera également en 1944 l’opéra Le Violon de Rotschild, composé par Benjamin Fleischman qui fut son élève au Conservatoire de Leningrad.
Le compositeur Dimitri Chostakovitch
(source image : INA.fr)
Texte de la documentation musicale de Radio France
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